Que ferait le français sans l’anglais ? Et vice versa…

Les anglicismes dans la langue française

Récemment, j’ai repris mon rôle à temps partiel de « Tutor » de français dans le cadre de la préparation au DipTrans, le Diplôme de traduction décerné par l’Institute of Linguists de Londres. Je m’étais déjà passionnée par la transmission de mon expérience de la traduction-adaptation lorsque je résidais à Londres. J’ai eu la chance d’avoir été contactée à nouveau car les cours sont désormais en ligne. La « dématérialisation de l’enseignement » peut aussi s’avérer une grande opportunité dans nos métiers. Nul besoin de se rendre régulièrement à Londres, ce que je déplore. La pandémie a vraiment tout changé…

Le rôle de tuteur est complexe. Il ne s’agit pas seulement de corriger des copies. Je me plais à penser, en tout cas, que mon rôle est aussi de guider et d’inspirer mes étudiants !

Alors, quand l’un d’entre eux m’a posé la question suivante : « Je vois beaucoup de mots anglais utilisés dans la langue française.  A-t-on le droit de les utiliser dans nos traductions?  Si ce n’est pas le cas, doit-on toujours chercher un équivalent, par exemple dans le cas de boycott, de sponsor ou de start-up » , j’ai eu envie de profiter de cette occasion pour creuser un peu la question. Il s’agit un peu d’un sujet « fleuve » qui a, encore pas plus tard que ce matin, été abordé dans l’émission Grand bien vous fasse sur France Inter.

La France est un des rares pays avec le Québec où cette question des anglicismes dans la langue est réglementée. Déjà en 1987, la question intéressait les spécialistes, notamment Jean Delisle, avec un article intéressant bien qu’un peu daté si on s’attache à rester au plus près de l’évolution de la langue, qui se fait au jour le jour. Les anglicismes insidieux – Delisle, Jean – Recherche par auteur – Chroniques de langue – TERMIUM Plus® – Translation Bureau

Souvenons-nous quand-même de la Loi Toubon (1994) qui avait obligé Disney par exemple, à adapter au marché français son offre de divertissement lors de l’ouverture d’EuroDisney à Marne-la-Vallée en Île de France. Cette réglementation a fait date, et a également représenté une pierre dans le jardin des traducteurs et des “transcréateurs”, pour deux raisons : 

– elle a durant un temps rendu le recours à la traduction obligatoire et cela a été très positif pour notre métier et son rayonnement, avec un impact sur les volumes de traduction commandées.

– elle possède un ancrage juridique car elle est fondée sur la défense du consommateur contre un discours publicitaire et marketing qui pourrait sous-tendre des pratiques abusives. Souvenez-vous des petites astérisques derrière les mots anglais dans la publicité au cinéma par exemple. Le “Just do it” de Nike ou les “soft drinks” doivent être traduits. 

“La sanction à une violation des dispositions citées entraîne le contrevenant à s’exposer à une amende de 4ème classe. Avec la loi Toubon, l’objectif du législateur est double. En effet, il est de protéger simultanément la langue française et le citoyen-consommateur.” (issu de JurisPedia, un projet dont la version en langue française est administrée par le Réseau Francophone de Diffusion du Droit. Pour plus de renseignements sur cet article nous vous invitons à nous contacter afin de joindre son ou ses auteur(s).)

Le postulat est qu’il n’est pas “interdit” d’utiliser des mots étrangers ou anglais s’ils sont expliqués ou traduits également ou si un équivalent est proposé. Pour le Conseil supérieur de l’audiovisuel : “Il n’est pas interdit d’utiliser des mots étrangers s’ils sont accompagnés d’une traduction française « aussi lisible, audible ou intelligible que la présentation en langue étrangère ». Cette disposition s’applique plus particulièrement au domaine de la publicité afin de garantir la compréhension des messages pour une meilleure protection du consommateur (cf : Article 20-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, complété par la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française).

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Dans le domaine de l’audiovisuel spécifiquement : la circulaire du 19 mars 1996 concernant l’application de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française souligne qu’« une similitude des deux présentations et un parallélisme des modes d’expression entre les deux versions ne sont pas exigés. En outre, la traduction peut ne pas être au mot à mot, dès lors qu’elle reste dans l’esprit du texte original ». Il en résulte, d’une part, que la traduction de mentions en langue étrangère peut indifféremment être verbale ou écrite et, d’autre part, qu’il n’est pas nécessaire que la traduction française de mentions écrites en langue étrangère soit disposée à l’écran dans des conditions identiques ou que les caractères utilisés soient de taille ou de couleur formellement similaires. Mais il importe que la présentation en langue française se rapproche suffisamment de la présentation en langue étrangère pour pouvoir être regardée comme « aussi lisible, audible ou intelligible ».

Cependant, pour des termes qui ont été adoptés il y a des dizaines d’années comme sponsor ou boycott, la question ne se pose plus, car ils ont été intégrés à notre langue et leur apparition dans les dictionnaires français consacre leur usage :

Boycott, définition

  • Cessation volontaire de toutes les relations avec un individu, une communauté, un pays.
  • Refus de prendre part à quelque chose. Le boycott des Jeux olympiques par un État.

⇄ boycott en anglais

On voit bien pour ce terme que l’anglais est le même que le français, ce terme a donc été totalement “importé” par le français ! Ajoutons pour le plaisir étymologique de la recherche, que c’est le Capitaine Charles C. Boycott (1832-1897), représentant foncier de Lough-Mask à County Mayo, Irlande, qui a donné à la langue anglaise ce vocable, pour avoir refusé d’abaisser le loyer de ses paysans, dans des circonstances certainement très intéressantes. Le patronyme de ce désagréable personnage est également originaire d’Angleterre, comme beaucoup de noms de famille qui reprennent un lieu de naissance ou d’origine (voire une certaine affection pour une plante, voir plus bas*).

Sponsor, définition 

  • Personne ou entreprise qui soutient financièrement une manifestation sportive ou culturelle à des fins publicitaires.

⇄ sponsor en anglais

Sponsor a lui aussi été largement adopté par le français et bien d’autres langues indo-européennes, a fortiori dans des secteurs tels que le sport, mais ce terme est souvent décrié et dans ce cas précis, les puristes dont je fais partie à mes heures recommandent le recours à des synonymes, souvent plus expressifs et plus près du sens : 

synonymes de sponsor, nom (France) :

  • Commanditaire, bailleur de fonds, financeur, parrain, parraineur ;
  • Mécène, donateur, bienfaiteur, protecteur, philanthrope, soutien, pygmalion.

Voyons maintenant le cas des termes apparus avec la révolution internet, comme “start-up” ou les “tech” par exemple : 

Start-up, définition

  • Nouvelle entreprise au potentiel de croissance rapide, principalement financée par des fonds de capital de risque.

Proposer « Jeune posse » est une excellente idée mais ne convient pas dans tous les cas. Dans un article de journal par exemple, « start-up » dans le titre sera plus accrocheur, mais on peut parler dans le corps du texte de « jeunes pousses ». La difficulté ici est que le terme recouvre une réalité spécifique et a été adopté tel quel par toutes les langues du monde, qu’il s’agisse du polonais, de l’allemand ou du portugais, etc. C’est la même chose pour le terme « tech ».

L’autre problème que nous rencontrons est de faire face à la déferlante de termes employés en anglais parce que les entreprises et les équipes qui y travaillent sont soit internationales, soit elles-mêmes dépassées par la vitesse de l’information et sous l’emprise de la logique de secteurs économiques (le marketing, la publicité, la finance, etc.) qui donnent la primeur à l’anglais tous azimuts. On ne peut pas toujours reformuler lorsqu’on est convoqué à « un meeting des managers online sur les fake news en backstage ! » D’autant que certains clients, je pense à la finance en particulier, mais aussi à la pub, exigent de conserver ce vocabulaire, souvent « francisé », comme dans le cas « d’initier une couverture » ou « le résultat opérationnel » par exemple, le fameux « EBITDA » ou encore le « CEO », aujourd’hui courants.

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Dans la vie courante et la mode ou la cosmétique, les actus produits des magazines, la déferlante est tout de même impressionnante ! Quid des «  smokey eye » en maquillage, des « peelings corps », du « look girly », du « séjour all inclusive », sans oublier le « crossfit » ?!

Rien ne sert de résister, le franglais est partout. Le « Top 30 » ou « best of » des mots anglais utilisés en français :  Top 30 des anglicismes employés en français | La langue française en recense quelques-uns.

Cette liste date de 2018 et reflète assez bien la réalité au quotidien.  Mais en y regardant de plus près, on se rend facilement compte que la plupart de ces termes ou expressions, tels « dress code » , «punch line », peuvent être facilement traduits avec un minimum d’effort sur leur sens reél et que leur emploi intervient souvent par pur snobisme. Alors, traducteurs, faisons un effort et préférons « le code vestimentaire » et « la chute » ou « le mot de la fin ». N’est-ce pas beaucoup plus élégant ?!

La présence très controversée de l’anglais dans notre vie de tous les jours est souvent dénoncée par les linguistes puristes. Pour preuve, un professeur d’anglais, Jean Maillet, a publié chez Le Figaro l’ouvrage 100 anglicismes à ne plus jamais utiliser ! C’est tellement mieux en français, dans lequel il s’adresse « à tous les amoureux de la langue française pour qui l’usage d’un anglicisme en lieu et place d’un mot ou d’une expression française est une égratignure littéraire » (in:  Anglicismes dans la langue française : IN ou OUT ? – CBLingua)

Pour les professionnels, ce sujet restera toujours « épineux », « a thorn in our side » comme aurait peut-être dit Shakespeare, mais c’est bien normal car il est en évolution, comme les langues qui sont vivantes par essence. Mon conseil à mes étudiants ? S’efforcer de ne jamais se laisser dominer par une langue au détriment de leur langue maternelle, leur langue « de travail » qui doit privilégier l’exactitude et l’élégance. Mais je conclurai en disant « non au boycott » ! Après tout, que serait la France sans Léonard de Vinci, l’anglais sans l’invasion normande et le français sans un petit aggiornamento de temps à autre  !

En guise de conclusion finale, je souhaite rendre hommage à l’anglais pour avoir su, certes un peu sous la contrainte, s’adapter il y a fort longtemps au normand et au français des conquérants qui devinrent l’influente Maison Plantagenêt. Guillaume le Conquérant (en ancien normand Williame li Conquereor, en anglais William the Conqueror), roi d’Angleterre sous le nom de Guillaume Ier et appelé également Guillaume le Bâtard naît à Falaise en 1027 environ. Il est roi d’Angleterre (et duc de Normandie de 1035…) dès 1066. L’Empire Plantagenêt a donc réuni au milieu du XIIe siècle par Henri II Plantagenêt. C’est un peu par hasard que le comte Henri d’Anjou, dit Henri Plantagenêt, ceint la couronne d’Angleterre le 19 décembre 1154 (https://www.herodote.net/index.php). Roi sous le nom d’Henri II, inaugure donc la dynastie dite des Plantagenêt. Il est le fils aîné du comte d’Anjou Geoffroy V le Bel, baptisé Plantagenêt* car il avait coutume de porter piquée ou plantée (« planta-genêts ») dans son chapeau une branche de genêts. C’est finalement par un concours de circonstances véritablement extraordinaire que l’État de droit fondé par Guillaume le Conquérant se trouve à l’origine de la puissance anglaise… Mais revenons aux mots… Est-ce aussi par hasard que l’anglais a emprunté au français l’expression « compter fleurette » pour en faire « flirt » dont le sens a un peu évolué ?! Y aurait-il donc un rapport entre la dynastie Plantagenêt et la relation d’amour et de haine, finalement de flirt permanent (osons dire, « je t’aime, moi non plus» en « mode » Gainsbourg !) entre nos deux langues ?!

Nota bene : Les emprunts, volontaires, contraints ou forcés, de l’anglais au français, pourront faire l’objet d’un autre article à eux seuls…

Published by

Isabelle Rouault-Röhlich

A versatile and passionate linguist, as well as an environmentalist, I endeavour to make sure that words keep their true colours during the process that involves going from one language and culture to another, instead of fading away in the great multilingual and Euro-English wash! I am a great believer in translation and interpreting as a means of conveying a clear and more poignant message for an ever more demanding multilingual audience. I also believe that a polished written message is a powerful tool to advance progress. I am a mother of two and these two are my light beacon! I am French born and bred although I have always spoken English and developed a special connection with the culture and language from a very early age, as my grandad worked for the British Embassy in Paris. I am also a lover of Spain. My husband is Franco-German. How is this for an interesting language ensemble?!

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