Las Fallas de Valencia : ce carnaval consacré par l’Unesco qui refuse d’entrer dans le 21e siècle !

— C’est toujours la guerre en Ukraine ! Oui, mais nous, on veut les Fallas !

— Les Gazaouis meurent de faim ? Oui, mais nous, on veut les Fallas !

— L’IA se développe et envahit notre quotidien ? Oui, mais nous, on veut les Fallas !

— Putin a été réélu avec un taux très suspect de 87,28% des voix ?! Oui, mais nous, on veut les Fallas !

— Les sycomores sont en voie de disparition en Californie à cause d’une quantité innombrable d’incendies de forêt ! Oui, mais bon, nous, on veut les Fallas ! La mascletà, c’est bien à 14 heures ?

— La rapidité de la montée du niveau des océans et aussi de la Méditerranée s’est multipliée par deux au cours des 20 dernières années seulement, ça vous touche ? Oui, mais bon, nous on veut aller voir la Cremà !

— 2023 a été l’année la plus chaude des 174 dernières années selon l’Organisation métérologique mondiale ? Ah bon ? Mais nous on veut aller voir la Cremà !

— De toute façon, les Fallas sont inscrites au Patrimoine mondial immatériel de l’Humanité. Alors, on peut faire ce qu’on veut, non ?!

Inscrites en 2016 au Patrimoine mondial de l’humanité par la très respectable Unesco, les Fallas sont ici à Valencia d’une importance monumentale et représentent une incroyable source de revenus pour la ville, son rayonnement et son secteur du tourisme et de l’hôtellerie, sans oublier l’activité de confection. Au point qu’on en oublie totalement tout le reste ! Il pleut des catastrophes ? La réponse ? « Du pain et des jeux ». Place à la Fête avec un grand « F » ! Mais est-ce bien raisonnable de continuer à mettre le feu à des centaines statues en polystyrène ?

Qu’est-ce que les Fallas ?

L’origine des Fallas se trouve dans une ancienne coutume des charpentiers qui, pour fêter l’arrivée du printemps, brûlaient la nuit du 19 mars les morceaux de bois (parots) qu’ils utilisaient pour élever les lanternes pour s’éclairer pendant l’hiver devant leurs ateliers.
Peu à peu, ils ont ajouté à ce feu purificateur de vieilles ferrailles et des chiffons qui donnaient apparence humaine aux parots jusqu’à ce qu’ils deviennent des personnages à part entière, les ninots. L’humour des Valencien·nes conféra bientôt à ces ninots le sens critique et ironique qu’ils ont conservé aujourd’hui. Aujourd’hui, les fallas sont devenues des œuvres d’art éphémères, dont les budgets se comptent parfois en millions.

Pourquoi et comment un tel succès ?

Les budgets et la taille des ninots sont de plus en plus incroyables : cette année, les 384 comissions falleras ont consacré un total de 8,87 millons d’euros à leurs ninots et monuments, plus encore qu’en 2023. Les falleras et falleros qui ont défilé cette année en nombre en costume traditionnel ont dépassé eux aussi le record de 103 000 personnes de l’année précédente.

Les Fallas entraînent un gros apport en capitaux et des contrats de sponsoring et de publicité mirobolants dans le secteur des boissons et produits de première consommation. Cette année, on a compté un million de visiteurs et de touristes.

Un carnaval estampillé et protégé

Inscrit en 2016 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité mis en œuvre par l’Unesco pour la plus grande fierté des Valenciennes et des Valenciens, ce carnaval est désormais protégé. L’objectif est double :

  • « reconnaître les savoir-faire associés à cette pratique transmis dans les familles, en particulier celles qui interviennent dans la construction des ninots et qui sont regroupées en plusieurs guildes au sein des communautés participantes. La fête des Fallas est propice à la créativité collective et à la sauvegarde des arts et artisanats traditionnels »,
  • « c’est également une source de fierté pour la communauté et elle contribue à l’identité culturelle et à la cohésion sociale. Autrefois, elle a aussi permis de préserver la langue valencienne lorsqu’elle a été interdite », et son usage parfois réprimé durant la dictature franquiste (1939-1975).

Qu’est-ce que la Cremà ?

Ici, la passion pour le feu n’a d’égale qu’une autre passion, pour la poudre. La mascletà en est la preuve !
Le nom de cet événement vient du « masclet », le type de pétard qui explose massivement lorsque la Fallera Mayor prononce son classique « Senyor pirótecnic pot començar la mascletà ».
Pour assister à ce spectacle sonore, il faut se rendre sur la Plaza del Ayuntamiento à 14 heures, du 1er au 19 mars. En effet, la Mascletà a lieu chaque jour pendant 20 jours, ni plus, ni moins ! Il est fortement recommandé d’ouvrir un peu la bouche pour éviter que les 120 décibels atteints n’endommagent vos tympans, voire de vous munir de bouchons d’oreilles. L’expérience est véritablement tant assourdissante qu’abasourdissante, et certains Valencien·nes reconnaissent qu’au fil des années leur ouïe a baissé !

La Cremà du 19 mars : des images choc

Toutes les fallas, celles des enfants et celles des grands, doivent brûler la nuit du 19 mars. Même si cela vous rend triste, regarder les flammes réduire ces monuments en cendres est un spectacle et un art en soi. Alors, mettez des chaussures confortables et préparez-vous à faire le parcours de la cremà comme un vrai·e Valencien·ne : à 20 heures, les monuments des enfants commencent à brûler et à 22 heures, les grandes fallas sont brûlées, à l’exception du 1er prix qui est brûlé à 22h30. Les Fallas se terminent lorsque la falla de l’Hôtel de Ville est brûlée, à 23 heures.

Pourquoi les Fallas n’ont plus lieu d’être si elles n’entrent pas dans le 21e siècle ?

On dit que tout le monde devrait venir aux Fallas une fois dans sa vie. Certes, on en revient ravi·e. Mais on est aussi en droit d’être sonné·e et d’avoir les oreilles qui bourdonnent. On peut aussi se sentir interloqué·e et plutôt frustré·e, voire vert·e de colère, devant tout ce déballage d’éphémère, d’excès et de gaspillage. On a beau reconnaître que c’est beau et très impressionnant, force est de constater qu’un carnaval de ce type n’est pas défendable au 21e siècle. Un carnaval de ce type doit être revisité, modifié pour le rendre compatible avec la défense de l’environnement, les objectifs de réduction de consommation de plastiques à usage unique, le contrôle des niveaux de pollution et la lutte contre le réchauffement climatique en général.

Il n’existe pas de statistiques sur les émission de dioxyde de carbone causés par tous ces incendies volontairement provoqués pour brûler les ninots et satisfaire cette soif primaire de purification, qui aujourd’hui ne rime plus qu’avec pollution. Sans compter les montagnes de déchets causées par l’arrivée et le séjour d’un million de visiteurs et de touristes et les 60000 faller@s (et participant·es qui organisent les Fallas et défilent dans les rues en costume traditionnel) à València.

Autre phénomène, cette année, la presse locale a rapporté également une recrudescence de l’incivisme ainsi que des actes de vandalisme dans les parcs, jardins et autour des principaux monuments valenciens. Durant 20 jours et avec seulement un répit de quelques heures par nuit (de 4 heures du matin à 8 heures environ !), les pétards et fusées sont autorisés, et sont tirés sans conscience de l’heure du jour ou de la nuit. Cette année a été particulièrement virulente en termes de décibels perçus et d’une année sur l’autre, les habitant·es sont nombreux·ses à fuir la ville.

De plus, un grave incident a endeuillé la ville. Le 22 février, à quelques jours du lancement de l’édition 2024 des Fallas, un incendie ravageur a dévasté deux immeubles récents dans le quartier moderne de Campanar, faisant dix morts et laissant sans toit des douzaines de familles. La coïncidence entre l’incendie et l’utilisation du feu pour brûler les figures du carnaval est frappante et symbolique.

A quelques 600 mètres du lieu de la tragédie se trouvait la falla de Campanar qui cette année a été dédiée au changement climatique. Quatre des commissions falleras ont pris la décision d’éloigner leur zone de feu pour la Crémà des bâtiments environnants, sachant qu’elles se trouvaient dangereusement proches d’immeubles à façades dites « ventilées », censées améliorer l’acoustique et l’isolation, en réalité responsable de l’ampleur de l’incendie des deux édifices sinistrés.

Ce qui choque le plus ici, c’est que le polystyrène dans lequel sont faits les monuments et les ninots entrait aussi dans la composition des matériaux prétendus isolants de ces deux immeubles, qui sont partis en fumée comme de la paille, et aussi vite que s’il s’était agi d’une cremà.

Tout est une question d’approche

A priori, seule une adaptation au 21e siècle et une prise en compte immédiate et significative du réchauffement climatique pourra à la fois servir d’exemple et faire durablement la différence.

Il reste difficile de condamner les Fallas car il ne s’agit pas que de poudre, d’explosions perpétuelles et de feu. Il y a une autre dimension. Celle-ci est religieuse et aussi artistique :

D’abord, les offrandes à la vierge en fleurs. Tous les comités de Fallas de la ville défilent depuis leurs quartiers jusqu’à la Plaza de la Virgen pour faire une offrande de fleurs à la Virgen de los Desamparados, patronne de Valence. L’événement dure de 16 heures jusque tard dans la nuit, et les bouquets sont utilisés pour confectionner une impressionnante tapisserie de 15 mètres de haut qui orne le manteau de la Vierge.
Visiter la place couverte de fleurs, après 2 jours d’offrandes, est une expérience visuelle et olfactive qui en vaut vraiment la peine !

Ensuite, la création artistique qui entre dans la composition des monuments et des fameux Ninots, auxquels un musée est consacré. Enfin, n’oublions pas toute l’industrie des costumes brodés à l’or fin des faller@s.

Il est grand temps pour València d’entrer dans le 21e siècle. Nous voulons des Fallas citoyennes et responsables, qui tiennent compte du développement durable : dignes de notre époque, sans incendies, sans pollution atmosphérique. Il y aurait tant à gagner pour la région et la planète ! Vive les Fallas modernes !

Les Fallas d’avant : une toute autre dimension (ci-dessous) !

Published by

Isabelle Rouault-Röhlich

A versatile and passionate linguist, as well as an environmentalist, I endeavour to make sure that words keep their true colours during the process that involves going from one language and culture to another, instead of fading away in the great multilingual and Euro-English wash! I am a great believer in translation and interpreting as a means of conveying a clear and more poignant message for an ever more demanding multilingual audience. I also believe that a polished written message is a powerful tool to advance progress. I am a mother of two and these two are my light beacon! I am French born and bred although I have always spoken English and developed a special connection with the culture and language from a very early age, as my grandad worked for the British Embassy in Paris. I am also a lover of Spain. My husband is Franco-German. How is this for an interesting language ensemble?!

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