
L’écriture inclusive n’est pas un sujet réservé à ceux et celles qui manient les mots chaque jour. Elle défraie aussi la chronique. Parlons-en !
Récemment, j’ai participé à un atelier animé par Isabelle Meurville, experte ès écriture inclusive et épicène depuis de nombreuses années (Formation à la rédaction épicène – Translature) intitulé : « LA LANGUE FRANÇAISE EST-ELLE SEXISTE ? ». L’occasion de rappeler le contexte de l’écriture inclusive et ses enjeux, dans le but de nous « donner des ailes » pour adapter la langue de Molière au 21e siècle.
Je dois dire qu’il y a des moments dans la vie où tout se bouscule, s’imbrique, et où l’actualité nous rattrape. En l’occurrence, il semble clair que cet atelier est tombé à point nommé par rapport à l’actualité brûlante ! Qualifiée de « péril mortel pour la langue » ou encore coupable « d’une complexité qui n’est pas nécessaire », et portée tout récemment devant le Conseil d’État, l’écriture inclusive fait du bruit, beaucoup de bruit !
Et pour cause, les enjeux sont importants : la proposition de loi de François Jolivet prône l’interdiction de l’écriture inclusive dans l’Administration française. Pour le député de l’Indre, cette graphie « complexifie l’apprentissage de la langue française » et « les experts de la dyslexie, dyspraxie et dysphasie sont préoccupés et alertent sur les difficultés supplémentaires engendrées par cette forme d’écriture ».
Le constat
Imaginons qu’un incendie se déclare dans un immeuble de votre quartier et que 3 petites filles et un chat devaient périr dans les flammes. Ce serait affreux. Dans le journal du soir, on pourra lire : « Dans l’incendie, 3 petites filles et leur chat sont morts ». Aujourd’hui et depuis trois siècles et demi, c’est ainsi que l’on écrit en français.
D’où vient l’écriture que nous utilisons aujourd’hui ?
Tout a commencé avec l’Académie française, qui n’a pas toujours été du côté de l’égalité des genres ou de l’inclusion, bien au contraire !
Cependant, en 1674 et du vivant de Racine, le féminin l’emportait sur le masculin lorsque dans une phrase telle que
« le couteau et la fourchette sont décorées »,
le dernier substantif était féminin. Madame de Sévigné elle aussi écrivait :
« — Je suis enrhumé.
— Je la suis aussi. »
Mais les choses ont changé avec ce précepte adopté par l’Académie française, rapporté ici verbatim :
« Si un adjectif se rapporte à plusieurs noms appellatifs, de différents genres, il se met encore au pluriel, & il s’accorde en genre avec celui des noms qui est du genre le plus noble. Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle ; le masculin et le féminin sont plus nobles que le neutre, à cause de la supériorité des êtres animés sur ceux qui ne le sont pas. »
Cette croustillante règle mise au point au 17e siècle par Bouhours et complétée en 1767 par Nicolas Beauzée a eu peine à s’imposer en pratique. Ce n’est qu’à la fin du 19e siècle, avec la généralisation de l’école primaire obligatoire, qu’elle s’est appliquée massivement.
On ignore si c’est vraiment la faute à Monsieur Jules Ferry, mais c’est ainsi que dès le CP ou cours primaire, donc à l’âge de 8 ans en moyenne, des générations d’enfants ont appris que le masculin l’emportait sur le féminin.
Aujourd’hui, à l’ère des mouvements LGBTQA+, du réchauffement climatique, du web omniscient et tout-puissant et de la réalité virtuelle, dans le désordre, une petite fille de 8 ans confrontée à la règle des accords pour la première fois pourra s’étonner et dire à ses parents : « même si c’est un chat, il l’emporte sur les petites filles ? »
Alors voilà, nous commençons peut-être à comprendre un peu mieux comment et pourquoi la langue française est depuis longtemps le bastion du pouvoir culturel masculin.

Preuve à l’appui…
Voici un exercice intéressant réalisé lors d’un mini-ateilier.
Il s’agit de différencier l’écriture épicène et inclusive et à rendre non-genrées, neutres, épicènes, les 3 phrases suivantes :
1/ En décembre, les pâtissiers talentueux engrangent 25% de leur chiffre d’affaires annuel.
2/ Les habitants de Londres sont inquiets face à la pandémie.
3/ De nombreux médecins sont sortis enchantés de la formation.
On peut dire, « en décembre, les pâtissiers et les pâtissières de talent engrangent 25% de leur chiffre d’affaires », mais tout aussi bien « le secteur de la pâtisserie réalise 25% de son chiffre d’affaires annuel ».
Chose particulièrement intéressante, la plupart d’entre nous ont redécouvert que « médecin » était un terme épicène. Eh oui, c’est bien ça. L’écriture genrée nous l’avait presque fait l’oublier !
Alors, nul besoin de recourir au substantif « docteur·e », qui d’ailleurs manquerait de précision par rapport à « médecin », car il suffit de dire par exemple « La formation a enchanté nombre de médecins ».
Les variations sont infinies. Ici, nous pouvons constater que ce qui compte, c’est de savoir écrire et rythmer une phrase. Et si l’écriture inclusive, c’était aussi inclure en ne rappelant pas constamment qu’il y a des genres ? Ainsi, la proposition « Pandémie : on s’inquiète à Londres » aura un impact bien plus intéressant si on ôte toute référence genrée.

Épicène et inclusif, c’est la même chose ?
Eh bien non, même si la finalité peut être la même.
Épicène* :
- Se dit d’un nom commun qui désigne à la fois le mâle et la femelle de l’espèce. Le mot marmotte est un nom féminin épicène tandis que le mot castor est un nom épicène masculin.
⇄ unisex · gender-neutral · neuter […]
dont le féminin et le masculin ont la même forme. Le mot pianiste est un nom épicène. Noms, pronoms, adjectifs épicènes. ⇄ gender-neutral · non-gendered · epicene
Inclusif* :
- Se dit d’un texte, d’un style de rédaction qui privilégie les formulations qui incluent, de manière implicite ou explicite, les deux genres. Écriture inclusive.
⇄ inclusive · gender-neutral
Pour remettre les pendules à l’heure, pourquoi ne pas enfin donner à chacun sa place dans l’écriture ? Revenons à notre exemple et écrivons : « Dans l’incendie, 3 petites filles sont mortes. Leur petit chat n’a pas survécu non plus. »
Les efforts de féminisation de la langue française ne datent pas d’hier. Déjà le gouvernement Fabius avait été à l’origine de la « commission de terminologie pour la féminisation des noms de métiers, de grades et de fonctions » créée par Yvette Roudy, la ministre des Droits de la femme, et composée de grammairiens et de sociolinguistes et présidée par Benoîte Groult (Auteure de « Ainsi soit-elle (1975)), qui visait à recommander des formes acceptables pour le public et grammaticalement correctes.
Hélas, dans les médias, cette question a souvent été un sujet de railleries par le passé. On ne voit pas l’intérêt d’«enjuponner le vocabulaire». Pourquoi ces avocates, sculptrices et autres députées s’arrogeraient-elles le droit de toucher à la langue française ? Un crime de lèse-majesté il y a encore 25 ans, l’usage intègre aujourd’hui de plus en plus ces formes nouvelles.
Sur ce sujet, sont à recommander la lecture de Le français est à nous, de Maria Candea & Laelia Veron et de Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! d’Eliane Viennot.
Aujourd’hui, l’écriture inclusive peut également se révéler non seulement une porte d’accès vers le mieux écrire, mais aussi vers le dialogue et la fidélisation avec nos client·e·s. Car chacun·e peut s’approprier cette écriture et l’adapter à ses besoins et à ceux de sa clientèle.
Dans le même temps, c’est un angle d’approche de la langue adaptable et un outil pour nous, traductrices et traducteurs. Nul besoin donc d’être sur la défensive ni de jouer aux Ayatollahs pour être inclusif·ve et prêcher la bonne parole !
On peut gager que l’évolution va se poursuivre en France, l’écriture non-genrée étant déjà très avancée au Québec, mais aussi en Suisse et dans d’autres langues européennes (notamment le castillan, le catalan, le valencien).
Pour conclure, l’écriture inclusive, ce peut être aussi l’acceptation de nouvelles graphies, comme par exemple, les propositions de Tristan Bartolini pour réunir « il et elle » ou « é » et « ée » :

L’écriture inclusive de Tristan Bartolini
Et maintenant, est-il permis de poser une autre question ? Et si l’Académie française accueillait enfin en son auguste sein des linguistes ? Et pourquoi pas des traducteurs et des transcréatrices, des rédacteurs et des conceptrices ? C’est juste qu’apparemment, les gens de lettres qui en sont les membres n’entendent rien aux questions d’inclusion ! Ce serait bien, non ?! J’attends vos réponses…
© Isabelle Rouault-Röhlich 2021
Pour en savoir plus :
- Les propositions graphiques de Tritan Bartolini https://www.franceculture.fr/design/lalphabet-epicene-de-tristan-bartolini?fbclid=IwAR1x1-kGUO4jUdBpqKPF2Di_S_JG1qNnJ1sRmvr6Zzd8o9x8uKopK4Idx-8
- Article du Monde : Comment la théologie chrétienne a lancé l’écriture inclusive – L’expression « écriture inclusive » est apparue dans le sillage de la théologie protestante féministe des années 1970-1980, sur fond d’interrogations politiques et parfois métaphysiques concernant la représentation du genre dans la religion https://www.franceculture.fr/design/lalphabet-epicene-de-tristan-bartolini?fbclid=IwAR1x1-kGUO4jUdBpqKPF2Di_S_JG1qNnJ1sRmvr6Zzd8o9x8uKopK4Idx-8
- Article du Times qui analyse le « danger mortel » couru par la langue française si elle dit oui à la féminisation https://www.thetimes.co.uk/article/feminising-french-puts-language-in-mortal-danger-says-academie-francaise-glwwz0djx
- Article tiré de 20 minutes
- et aussi, « Paris : La Ville choisit de garder l’écriture inclusive » https://www.20minutes.fr/paris/2173527-20171121-paris-ville-choisit-garder-ecriture-inclusive
- Antidote en ligne

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